Golem tattoo : leçons d’un parcours singulier dans le tatouage

lundi 24 novembre 2025

La prise de parole de Golem à la TAPE 2025 n’était pas une démonstration d’ego ni une liste de recettes toutes faites. C’était un retour d’expérience honnête sur un métier qui bouge vite, parfois trop vite, et sur la manière de rester pertinent quand les repères sautent les uns après les autres. Au-delà des anecdotes, c’est une véritable méthode qu’il a dévoilée: comprendre le monde, construire une identité forte et s’adapter sans se renier.

Comprendre d’où l’on vient pour savoir où aller

Golem commence là où peu commencent: l’orientation. À 16 ans, il demande à devenir illustrateur; on l’envoie en prothèse dentaire. L’erreur d’aiguillage devient pourtant le premier pilier de sa carrière. Pendant trois ans, il apprend la morphologie, la logique des volumes, la précision du geste et l’observation fine de l’infiniment petit. La dent devient une leçon de construction.

Ce qui pourrait passer pour un accident devient un enseignement fondamental: chaque étape d’un parcours nourrit la suivante. On ne choisit pas toujours les portes qui s’ouvrent, mais on choisit ce qu’on en fait. Son “sac de diamants”, comme il l’appelle, commence là: un ensemble de savoirs apparemment éloignés qui finiront par construire une vision singulière.

Voir le dessin comme une pensée avant d’être une technique

Pour Golem, dessiner n’est pas exécuter un geste, mais traduire une compréhension du monde. Son maître de prothèse lui transmet deux idées fondatrices.

1. Ce qui est vrai dans le macrocosme l’est dans le microcosme.
Observer une montagne ou observer une mâchoire, c’est travailler les mêmes logiques. Les flux, les tensions, les points d’appui: la nature répète ses structures.

2. La fonction crée la beauté.
Le vivant est construit pour fonctionner; c’est cette logique interne qui produit l’harmonie. En art, cela donne une base solide: comprendre avant d’inventer, structurer avant de styliser.

Ces deux enseignements deviennent un socle. C’est ce qui lui permet, plus tard, de comprendre que tout personnage, même stylisé, a besoin d’une architecture crédible. La structure interne précède l’apparence. Un bon dessin, comme un bon tatouage, naît de la cohérence.

Observer, définir, exécuter: un triptyque incontournable

Golem découpe son processus créatif en trois phases.

Observer

Sortir du flux, arrêter de slider, reprendre les livres, analyser les formes simples, comprendre la lumière. L’observation lente est redevenue une urgence dans un monde saturé d’images rapides.

Définir l’intention

Avant de tracer une ligne, savoir ce qu’on veut transmettre. Une émotion. Un mouvement. Un message. Le style doit être une conséquence, pas un costume.

Exécuter

Retrouver la conscience du geste. Comprendre comment le cerveau crée les connexions nécessaires pour maîtriser un trait. Golem rappelle que le trait sûr n’est pas un don: c’est un entraînement qui lie cerveau et main, un dialogue répété.

Cette mécanique s’applique autant au dessin qu’au tatouage. Il insiste sur une évidence souvent oubliée: on n’a qu’une seule chance pour faire une première bonne impression visuelle. Un tatouage visible sur les réseaux doit porter immédiatement une cohérence.

Construire sa bibliothèque mentale: le langage des formes simples

Golem revient longuement sur la base réelle du dessin: les formes élémentaires. Cylindres, blocs, sphères, cônes. Non pas comme une routine académique, mais comme un alphabet visuel. Selon lui, le cerveau ne peut pas stocker une infinité de formes complexes; il peut en revanche devenir extrêmement performant pour recombiner de simples volumes.

C’est ce qui lui permet, en live sur Twitch, de construire un personnage complet en direct, sans références sous les yeux. C’est aussi ce qui permet d’être rapide, clair et fiable en création de tatouage.

Pour les tatoueurs qui veulent styliser, exagérer ou déformer: l’ossature reste la clé. Même un personnage cartoon doit obéir à une logique interne. C’est ce qui rend un dessin vivant.

Appliquer la structure au tatouage: la cohérence avant tout

Lorsqu’il accompagne un étudiant, Golem commence toujours par le dessin. Pas pour juger, mais pour comprendre où se situent les blocages: couleur, contraste, composition, volume, intention. Il refait parfois entièrement une pièce avec l’élève, avant de tatouer ensemble à quatre mains.

Il montre comment un objet, même inerte, peut devenir dynamique grâce à la déformation des structures. Dans les styles comme le néotrad ou le new school, c’est une compétence centrale.

Le dessin devient un diagnostic, puis un traitement.

Diversifier pour survivre: l’univers comme colonne vertébrale

La deuxième partie de sa conférence est un modèle de stratégie. Dans un métier où les saisons, l’algorithme et les aléas de la vie peuvent tout faire vaciller, il a mis en place un écosystème autour de son univers graphique.

Prints, posters, BD, stickers, textiles, collaborations, travaux pour le jeu vidéo, prototypage, Twitch, Patreon, licences, arcade cabinets.
Chaque support diffuse l’univers, stabilise les revenus et nourrit la visibilité.

Il ne s’agit jamais de dilution. Il s’agit de cohérence.

Un client qui repart avec un T-shirt, un print ou un sticker emmène une part de l’univers hors du shop. Ce n’est pas une carte de visite: c’est une extension de l’identité visuelle.
Et en convention, ce merchandising peut être la différence entre une perte sèche et un weekend rentable.

L’illustration devient un fonds patrimonial: un dessin fait aujourd’hui peut être revendu pendant 20 ans.

S’adapter sans se perdre: la question de l’IA

Golem n’esquive pas le sujet. Pinterest et ArtStation sont saturés d’IA. Les studios photo-bashent sans savoir si les sources sont humaines. Le marché s’accélère. Les comportements évoluent.

Pourtant, son discours n’est pas fataliste.

L’IA sait: copier, varier, analyser, combiner.
Elle ne sait pas: vivre, ressentir, raconter.

La singularité reste humaine: l’intention, le vécu, le geste, la relation avec le client, la narration autour d’un univers.
Il le dit clairement: ne refusez pas l’outil, mais ne perdez pas vos racines. Le dessin reste une fondation. L’univers reste une identité. L’humain reste une force. Ce triangle-là protège de tout.

Les enseignements à retenir

1. Chaque étape compte. Même les détours deviennent des ressources, si on sait les reconnaître.
2. Le dessin est une pensée structurée. La technique n’est qu’un prolongement.
3. La structure prime sur le détail. Plus la base est claire, plus la stylisation est libre et forte.
4. L’univers est un pilier vital. Il porte l’identité, la cohérence et la diversification.
5. Diversifier n’est pas se disperser. C’est sécuriser son métier et s’ouvrir des portes.
6. L’humain fait la différence. Les clients adhèrent à une histoire, pas à une image isolée.
7. L’IA n’annule pas l’artiste. Elle force à revenir aux fondamentaux: intention, sens, authenticité.
8. Le métier change, mais les racines restent. Le dessin, l’observation et la cohérence ne vieillissent pas.

Finalement

Ce qu’on retient de Golem, ce n’est pas seulement une technique ou une vision. C’est une manière d’habiter son métier.
Une manière d’accepter que tout bouge, mais que certains piliers restent stables.
Une manière de dire que la singularité, la vraie, se construit dans le temps.

Et surtout: continuer à nourrir l’enfant intérieur, celui qui dessine instinctivement et qui voit avant de comprendre. Celui qu’il refuse de perdre, et que chaque artiste devrait protéger.

Ça se passe au studio