Le TAPE 2025 s’annonçait comme un événement inédit pour le milieu. Pas une convention, pas un lieu dédié au public, mais un rendez-vous pensé uniquement pour les professionnels du tatouage. Une sorte de respiration dans nos emplois du temps chargés, avec la promesse de discussions plus profondes, loin du bruit des machines et du stress des tatouages en live. Sur le papier, l’idée était séduisante. Dans les faits, l’expérience a laissé une impression plus nuancée.
Un format pro, pensé pour l’échange
Le salon était organisé par Devilish et ITC, deux acteurs bien installés dans le secteur. À l’entrée, un numéro SIRET était demandé, même si son contrôle semblait assez théorique. L’objectif était clair: réunir les tatoueurs entre eux. Pas de visiteurs, pas de clients, juste des pros et des métiers satellites. Une configuration qui change tout parce qu’en convention traditionnelle, on est absorbé par le travail, concentré sur son stand, et on n’a jamais vraiment le temps de se poser pour réfléchir à son métier avec ses pairs.
Là, c’était l’inverse. On a pu discuter longuement avec des artistes, des assos, des marques, des fournisseurs. Les échanges “off” étaient clairement la partie la plus enrichissante de la journée. Ce sont ces conversations qui ont donné du sens à l’événement. Quand tu peux enfin parler processus, fatigue, inspirations, techniques, organisation ou même éthique avec d’autres tatoueurs, tu sens que ça te nourrit vraiment.
Des masterclass décevantes dans l’ensemble
Le contenu des conférences était l’autre promesse du TAPE. Malheureusement c’est là que le bât blesse. Beaucoup d’interventions avaient un niveau très superficiel, proche d’une initiation grand public ou d’un cours type Domestika. Des choses utiles quand on débute, mais pas à la hauteur d’un événement présenté comme professionnel.
Un schéma revenait trop souvent: une masterclass assez légère, puis une promotion finale pour vendre une formation privée. “Moins 20 % si vous prenez mon accompagnement de quatre jours”. Ce genre d’approche donne vite la sensation d’une vitrine commerciale plus qu’un partage sincère d’expérience. Certaines conférences sauvaient l’ensemble, comme celle de Sam Parle Tattoo, claire, structurée, un peu plus généreuse en matière. Mais même là, si tu as déjà des années de pratique, tu n’apprendras pas grand-chose.
Le problème principal semble être le public visé. On te dit que c’est pour les tatoueurs, donc pour tous les niveaux. Pourtant beaucoup de contenus s’adressaient surtout aux ultra-débutants. Quand tu maîtrises déjà la couleur, le shading, les dégradés, les problèmes de saturation ou les équilibres froids/chauds, tu restes un peu sur ta faim. Le réalisme couleur, par exemple, ne s’improvise pas en trente minutes.
Le sentiment final est celui d’un format intéressant, mais pas encore mûr. L’intention est belle, la mise en œuvre trop inégale.
La question de l’affiche et l’usage de l’IA
Le sujet a beaucoup fait parler : l’affiche du salon était générée en IA, avec une Marilyn Monroe tatouée dans un style old school. De loin, ça passe. De près, c’est bancal. Et ça interroge. On parle d’un salon pro dans un milieu artistique porté par des gens qui dessinent tous les jours. Quand des acteurs majeurs comme ITC ou Devilish choisissent une image IA au lieu de travailler avec un illustrateur ou un graphiste, ça envoie un signal étrange.
L’IA n’est pas le problème en soi. C’est un outil utile pour brainstormer, trouver une ambiance, débloquer une composition. Mais elle ne peut pas remplacer le travail final. Une affiche officielle demande une intention vraie, un œil humain, un style. Confier le rendu final à un modèle génératif, c’est amoindrir l’image de tout un secteur alors que visuellement, on peut faire tellement mieux.
D’autres événements sont tombés dans le même piège, et le résultat ressemble souvent à un rendu automatique mal fini. L’exemple de Gamin à 10 doigts et de leur concours Mario Kart illustre bien le problème: une affiche IA non retouchée, bancale, en décalage complet avec la qualité de leurs locaux et de leur image. On touche ici à une dérive plus large: l’IA devient un raccourci facile, parfois utilisé à la place d’un vrai geste artistique.
Le bon usage de l’IA dans un processus créatif
À l’inverse, certaines marques montrent comment intégrer l’IA intelligemment. La marque Tern, par exemple, utilise l’IA pour générer des maquettes rapides, explorer des pistes visuelles, tester des cadrages. Une étape de recherche, rien de plus. Ensuite ils shootent en vrai, travaillent la lumière, composent leurs images, puis passent par un graphiste pour finaliser l’affiche. L’outil sert le processus sans jamais le remplacer.
Dans le tatouage, c’est la même chose. L’IA peut aider à visualiser une idée difficile à poser sur papier ou à imaginer une pose, un mouvement. Mais elle ne remplace pas la main, le grain, le papier, la sensibilité. Une tablette a déjà transformé la manière dont on prépare nos projets, elle n’a jamais remplacé le dessin.
Le danger, c’est que l’IA est accessible et rapide, ce qui pousse certains à produire des visuels médiocres pour des projets qui mériteraient mieux.
L’éthique, le vol de créations et les risques pour les shops
Le salon a aussi été l’occasion d’aborder un problème beaucoup plus grave: le vol pur et simple de designs sur des illustrateurs indépendants. Un exemple a marqué les esprits: une artiste brésilienne voulant venir en guest, repostée par le shop, avant qu’une créatrice française ne signale que tous ses designs avaient été copiés à l’identique. Pas inspirés. Pas réinterprétés. Dupliqués.
Après vérification, c’était vrai. La tatoueuse avait tatoué ces visuels, stencils à l’appui. De quoi mettre un shop dans une situation délicate sans même s’en rendre compte. L’artiste lésée menaçait de porter plainte. Il a fallu gérer, s’excuser, expliquer, rectifier.
Le pire est venu après: l’artiste en question a insisté pour venir malgré tout, expliquant qu’elle pouvait “mentir” si nécessaire pour éviter un drama. Un comportement incompatible avec l’éthique qu’un shop veut défendre. Le genre d’expérience qui rappelle que la rigueur et la vérification ne sont plus facultatives aujourd’hui, surtout avec la facilité qu’offre l’IA pour copier des œuvres.
En conclusion
TAPE 2025 avait toutes les cartes pour devenir un rendez-vous essentiel pour les tatoueurs. Et malgré ses limites, il y a eu de vrais temps forts, surtout dans les échanges entre pros. Reste maintenant à pousser plus loin le contenu des masterclass, assumer une direction artistique cohérente et défendre des valeurs solides dans un métier déjà fragilisé par les dérives de l’IA et du plagiat.
Ce type d’événement peut devenir une ressource précieuse pour la profession. Il a juste besoin d’être plus exigeant, plus rigoureux et plus aligné avec ce que les artistes attendent vraiment.